En 2019, la fondation FLIP (fondation pour la liberté d’expression de la presse) a publié un rapport décrivant les déserts d’informations locales dans 666 des 1109 municipalités de Colombie. Dans ces régions qui abritent environ 10 millions de Colombiens (soit un cinquième de la population du pays), il n’a été trouvé aucun journal, site web ou station de télévision ou de radio fournissant des informations locales, principalement en raison d’une longue guerre de guérilla et de menaces contre les journalistes de la part de gangs de drogue. Même dans les villes isolées où il y a une couverture médiatique, le rapport du FLIP a constaté qu’une grande partie de celle-ci provient de stations de radio gérées par l’armée colombienne plutôt que de reporters indépendants. « Nous devions trouver un moyen de briser le silence », a déclaré Jonathan Bock Ruíz, directeur adjoint du FLIP, au CPJ.
C’est alors qu’est née une idée de formation itinérante destinée à toutes les personnes souhaitant se former au métier de reporteur/journaliste. Le projet devait être facilement transportable pour parcourir l’ensemble des régions concernées par ce désert d’informations. La fondation a alors eu l’idée d’utiliser un ancien container maritime et de l’aménager en véritable salle de classe. Le projet a été financé par les Nations-Unies, avec des financements plus modestes de la part des fondations Open Society et de l’USAID.
Le container peut être installé à peu près n’importe où. Ses parois métalliques se rabattent pour former des auvents afin de protéger les gens du soleil et de la pluie. À l’intérieur se trouvent un tableau blanc, du matériel audiovisuel, des ventilateurs, une cafetière, des tables portables et des chaises en plastique. « C’est un peu étroit, mais les gens ont l’impression d’avoir leur propre espace et sont plus disposés à s’exprimer », a déclaré Carolina Arteta Caballero, directrice de l’éducation du FLIP, au CPJ. Elle a dirigé un séminaire dans la ville de Tumaco, sur la côte Pacifique, en mars, juste avant le début du confinement lié au coronavirus. Fort de son succès, à chaque cours, ce n’est pas moins de 20 élèves qui prennent place. « C’est une façon pour moi d’apprendre à communiquer et à m’exprimer », a déclaré une étudiante, Silvia Ordoñez, qui dirige un groupe environnemental qui tente de protéger les mangroves de la côte Pacifique toute proche.
Les premiers séminaires du FLIP ont eu lieu l’année dernière dans des villes de l’État occidental de Tolima, une région montagneuse qui a donné naissance au groupe de guérilla marxiste connu sous le nom de FARC en 1964. Bien que les FARC aient désarmé en 2016, le FLIP affirme que grâce, en partie, à tant d’années de violence, 20 des 47 municipalités de l’État sont tombées dans un vide d’information local.
Après les séminaires du FLIP dans la ville de Cajamarca, un groupe de quatre femmes diplômées, âgées de 20 à 65 ans, a commencé à transmettre des nouvelles locales en mettant l’accent sur les problèmes des femmes par le biais de vidéos sur YouTube. Un autre étudiant, Harrison Vargas, 12 ans, a créé une chaîne YouTube dans laquelle il fait la promotion de l’agriculture biologique. « Il est comme une Greta Thunberg colombienne », a déclaré M. Bock au CPJ, en référence à l’adolescente suédoise militante écologiste. « Il veut être le YouTube qui sauve la campagne. »
Depuis la mi-mars, lorsque le gouvernement colombien a annoncé le confinement pour empêcher la propagation du coronavirus, le container est revenu à Bogota et le FLIP tient ses séminaires de journalisme en ligne. Le concept de la salle de classe container est de rassembler les futurs journalistes et de créer un sentiment de solidarité. C’est pourquoi M. Bock promet qu’une fois le déconfinement annoncé en Colombie, le container reprendra du service.